Pierre Tâm-Anh, engagé pour faire bouger la ville

Pierre Tâm Anh

A 25 ans, Pierre Tâm-Anh a déjà une expérience professionnelle et associative impressionnante. Le 4 mars, il organise à Montreuil (Seine-Saint-Denis) avec Noise la Ville un forum “Numérique dans nos quartiers : créons de la valeur !”. 
Pierre Tâm-Anh, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Hello ! Pierre Tâm-Anh, 25 ans, Franco-Vietnamien. Je travaille actuellement pour Radio Nova et son émission Neo Geo le dimanche (10h-13h), avec un focus sur l’actualité et les tendances culturelles en Asie-Pacifique.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours ?
J’ai grandi à Paris pendant mes vingt premières années, puis j’ai eu la chance de pouvoir partir étudier en programmes d’échange universitaire à Hong Kong et au Mexique, mais également de travailler en Corée du Sud sur des missions de conseil et de développement pour le Comptoir de l’Innovation (Groupe SOS).
A la sortie de mon master Finance & Stratégie à Sciences Po, j’ai participé au lancement et au développement de Delegations for Dialogue, une organisation non-profit de tourisme éducatif qui propose des programmes d’études dans des pays aussi clivants que passionnants (Corée du Nord, Iran, Liban, Birmanie…). Ça a été une aventure excitante pour le mordu de relations internationales que je suis, avec des souvenirs uniques comme ceux en Iran. Mais après des désaccords de fond avec les co-fondateurs, j’ai décidé de quitter le projet l’année dernière. Cela dit, je défends toujours la cause interculturelle avec l’émission Neo Geo.

Y a-t-il eu un point de bascule ? Un élément qui t’a poussé à t’engager ?

De façon générale, je suis convaincu que les voyages et les rencontres restent les meilleurs moyens d’élargir son champ de réflexion, d’augmenter ainsi cette probabilité de prendre conscience de certains enjeux, et parfois de s’engager pour des causes.

Je pense rétrospectivement que ma première expérience à l’étranger à Hong Kong puis Pékin en 2010-2011, a été un double révélateur. D’une part, j’ai pu prendre pleinement conscience  de ma double culture, faire la part des choses entre mes valeurs occidentales et asiatiques pour en garder le meilleur, et ainsi prendre davantage confiance en moi. D’autre part, même si j’ai adoré ma vie en Asie, c’est à 10.000 km de la France que j’ai réalisé à quelle point la région parisienne disposait d’une vitalité culturelle unique que j’avais envie de la vivre pleinement. Deux mois après mon retour de Hong Kong, je me lançais dans l’aventure Noise la Ville.

Tu as co-fondé le collectif Noise La ville. Peux-tu nous raconter brièvement son histoire ?

J’ai effectivement fait partie de celles et ceux qui ont posé les fondations de ce projet collectif, qui à l’origine était une simple association étudiante de Sciences Po. Pour recontextualiser, cela faisait une dizaine d’années que l’école avait “injecté” de la diversité sociale et culturelle dans son corps étudiant avec ses politiques de recrutements parallèles dans les Zones/Réseaux d’Education Prioritaire. Les premiers membres du mouvement de Noise venaient de milieux sociaux différents (le Paris bourgeois comme celui des quartiers populaires plus ou moins gentrifiés, les banlieues, les classes moyennes provinciales…).
On partageait tous une passion commune pour les cultures urbaines, et en particulier la culture Hip-Hop. On avait toutes et tous cette frustration frustration de ne pas avoir ces cultures représentées à l’école, aussi bien au niveau académique que dans la vie associative. Du coup, à l’aide des outils d’analyse qu’on nous apprenait sur les bancs de Sciences Po, on a commencé à organiser nos propres conférences où l’on invitait des artistes hip-hop comme Dee Nasty, Oxmo Puccino, Anne Nguyen ou encore Youssoupha. Ces artistes, qui n’avaient pas pour habitude d’intervenir dans une institution comme Sciences Po, venaient débattre avec des chercheurs, des politiques, des entrepreneurs et des journalistes devant un public de 300 personnes.
Nos événements arrivaient à remplir les amphithéâtres, et on est allés au-delà du hip-hop, pour inviter des collectifs d’artistes comme Kourtrajmé, des militants de  squats artistiques ou encore des artistes de la culture tzigane. Puis on a décidé de promouvoir la ville en dehors des amphithéâtres en organisant des apéros des apéros dans des lieux avec une forte vitalité culturelle (friches artistiques, jardins partagés, fablabs, incubateur d’entreprises sociales, ) en région parisienne, puis notre propre festival qui alliait réflexion et festivités ambitionne de créer des passerelles intellectuelles et humaines entre étudiants et artistes, associations et institutions, Paris et sa banlieue. 

Donc qu’est ce que Noise aujourd’hui ?

Noise, La Ville est une communauté de citadines et citadins qui veulent observer, repenser et célébrer la ville dans toute sa complexité culturelle. Notre démarche est animée par des valeurs fondamentales de diversité, de réflexion, de participation et de convivialité. Notre structure légale est associative, et nos leviers d’action non-lucratifs sont un média et des événements, aussi bien festifs que de réflexion collective.

Pourquoi le nom Noise la Ville ?

Notre titre hybride, à la fois francophone et anglophone, répond à deux aspirations complémentaires : assumer aussi bien notre pop-culture générationnelle teintée de hip-hop que l’ancrage singulier de nos territoires urbains en France.
Ce « Noise » anglophone constitue le bruit de la ville, qui pour notre association recouvre deux acceptions. Il s’agit aussi bien du son de la ville – que ce soit du rap, de la fanfare de rue, des morceaux de jazz manouche ou un mix de musiques électroniques… – que du bruit des discours, des questions de fonds que posent chercheurs, citoyens, artistes ou politiques  sur nos réalités urbaines en mutations permanentes.

Quels sont ses objectifs ?

La mission principale de Noise la Ville, c’est, avec humilité et patience (et ces conditions sont indispensables), de décloisonner la ville de ses bulles d’entre-soi, de favoriser des rencontres horizontales entre les diverses communautés qui composent nos sociétés urbaines.

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Quelles sont les valeurs fondatrices du projet ?

Je dirais la diversité, la réflexion, la convivialité et la participation, dans la mesure où l’on retrouve la plupart de ces valeurs dans l’ensemble de nos projets.

Et les différentes actions que vous menez ?

Nos projets sont événementiels et éditoriaux. Côté événements, on organise des débats, des concerts, des apéros et un festival pluridisciplinaire en région parisienne. On a également créé notre propre magazine en ligne (www.noise-laville.fr) qui est en train de façonner une vraie ligne éditoriale, avec pour ambition de devenir “le journal intime des villes”. Nos membres actifs sont également en réflexion pour lancer un troisième levier dans notre mission de décloisonnement : la co-formation. L’idée serait de capitaliser sur notre expérience et notre réseau construits ces cinq dernières années pour créer de la valeur partagée avec d’autres acteurs et actrices de la société civile, notamment les initiatives issues de nos quartiers populaires.  

Peux-tu nous en dire plus sur le forum « Le numérique dans nos quartiers : créons de la valeur ! », qui se tiendra le 4 mars dans les locaux de Simplon.co, à Montreuil ?

La mission de notre forum, c’est de créer des ponts entre deux bulles : l’écosystème startup parisien innovant et les acteurs/rices de la société civile qui s’appuient sur le levier numérique pour désenclaver nos quartiers populaires (formation, réseaux, appel à entreprendre…) et identifier leurs meilleurs talents. Si vous voulez creuser un peu plus sur nos motivations, on a rédigé un petit manifeste dédié à cet événement.
Notre forum, qui est entièrement gratuit, aura trois moments forts :
1/ Job-Dating (13h30-19h) avec 8 projets (les startups Showroomprivé, Seekube, Doctrine, Impala ; le groupe Roche, mais aussi des associations comme Reconnect, la Coopérative Indigo ou Entourage) qui recrutent tous types de profils (dev, opérationnels, fonctions support, Data science…) de tous horizons ;
2/ Débats (14h-19h) sur les mutations provoquées par le numérique dans nos quartiers populaires avec 4 enjeux (Education-Emploi-Citoyenneté-Culture). Pour ces moments de réflexion collective, on a convié des entreprises (Uber, Microsoft, Accenture, Liegey-Muller-Pons, Vice…), des institutionnels (Région Ile-de-France), académiques (Medialab Sciences Po), des projets éditoriaux , (Le Drenche, Argot) et surtout la société civile (Challenge Citoyen, Passeport Avenir, Mozaïk RH, Liberté Living Lab, Simplon, _Blank)  ;
3/ Concours de pitch startups (19h30-22h30) de cinq entrepreneurs/euses de Seine-Saint-Denis animé par l’accélérateur TheFamily.
Donc si vous êtes animé.e.s par les enjeux numériques, l’inclusion sociale et/ou en recherche de travail, stage comme CDI, vous êtes les bienvenu.e.s !
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Qu’est-ce qui te rend optimiste pour l’avenir ?

Au risque de tomber dans un brin d’égocentrisme, ce qui me rend optimiste, c’est l’histoire française de mes parents, pour qui j’ai une admiration sans borne. Ce sont des immigrés vietnamiens arrivés en France dans les années 1970 pour fuir la guerre du Vietnam et reconstruire une nouvelle vie.
Avec beaucoup de détermination face à certains obstacles que peuvent rencontrer un.e immigré.e (privations, inégalités, discriminations…), ils ont réussi à se construire leur place au sein de la société, à s’élever socialement et à nous offrir à mon frère et moi des outils éducatifs solides, le tout sans avoir renoncé à leur singularité culturelle.
Aujourd’hui sous différentes formes, ils redonnent à la société française ce que cette dernière a pu leur apporter. Cette histoire, qui me rend humble et fier, j’ai envie de la défendre, car je suis convaincu qu’elle concerne une multitude d’autres familles qui ne sont pas dans la lumière mais qui apportent beaucoup à notre pays. C’est à la fois un motif d’optimisme et d’engagement.
Malgré des réalités douloureuses, des injustices révoltantes et une certaine forme de pessimisme qui peut parfois régner, tout ne doit pas être rejeté. Il y a beaucoup de bonnes énergies inspirantes et bienveillantes qui se projettent, entreprennent et (co-)construisent pour le monde de demain.
En France, il y a notamment l’école Simplon.co qui nous accueille notre forum ce samedi et qui reste un véritable modèle pour notre collectif Noise la Ville, mais aussi l’entreprise Officience ou encore l’association Ghett’Up. Et pour élargir à l’international, je pense à des projets comme le fablab BONEVET dans les Balkans, ou encore les entreprises Mamanpaz en Iran et Sistema Biobolsa au Mexique.   

Qu’est ce qui te semble primordial d’inculquer aux jeunes et comment le fais-tu/ le faites-vous ?

Inculquer c’est un peu violent, non ? Je n’ai pas la prétention de vouloir donner des leçons ou imposer tel ou tel système de valeurs alors qu’il me reste encore beaucoup de choses à apprendre moi-même. Après, s’il y avait quelque chose à transmettre, ça serait la curiosité, et par extension, le respect, pour ne pas dire l’humilité, de la différence. Ca peut sonner bisounours, mais ce dont je suis sûr, c’est que c’est lié à mon ADN de biculturel.

De quel monde rêves-tu pour eux ?

A défaut de pouvoir rêver pour eux, je leur souhaite justement qu’elles/ils puissent tou.te.s avoir leurs propres rêves. La réalité étant que cette capacité à pouvoir se projeter n’est malheureusement pas donnée à tout le monde. Et c’est aussi pour ça que certain.e.s s’engagent, à leurs humbles échelles.

Comment envisages-tu l’avenir de l’éducation ? Que voudrais-tu changer si tu en avais la possibilité ?

L’éducation, c’est la vie ! Si on arrête d’apprendre, on meurt, et c’est d’autant plus vrai aujourd’hui où tout change très vite. Si on avait un budget illimité, on pourrait organiser à chaque année d’études des voyages à l’étranger pour toutes et tous, de la fin de l’école primaire au lycée. Et plus les élèves grandissent, plus la durée du voyage s’allongerait.

Tu parles beaucoup de bi-culturalité et tu as réussi à en faire une force. Pourrais-tu donner quelques clefs pour tous ceux qui se sentent appartenir parfois à deux mondes qui semblent parallèles ?

Je pense qu’une clef importante, c’est à un moment donné de son existence d’entreprendre un retour aux sources qui permet de déconstruire la complexité de ses racines culturelles hybrides. Dans ce cheminement, il y a deux leviers : le voyage vers la terre des ancêtres et, plus abordable économiquement, les échanges avec d’autres personnes qui ont aussi hérité d’un patrimoine culturel complexe.
Avant de vivre en Asie, j’avais très peu de recul sur ma double culture et son impact sur mon interprétation singulière des choses. Du coup, j’avais en moi une sorte de schizophrénie identitaire mal maîtrisée où je ne comprenais pas toujours pourquoi je pouvais réagir à des situations de manière différente que la plupart de mes ami.e.s qui avaient une culture majoritairement occidentale. Et puis en allant vivre au quotidien avec des Asiatiques, j’ai su réaliser ce qui faisait de moi un Franco-Vietnamien, pour ne pas dire un Eurasien.
Un autre levier important, c’est de pouvoir échanger avec d’autres personnes qui héritent également d’un patrimoine culturel pluriel. J’évolue également dans une association de franco-vietnamiens, qui me permet de cultiver ma singularité culturelle et de partager des questionnements à des personnes qui ont un vécu similaire et donc une certaine empathie pour me comprendre. Evoluer dans cette association communautaire (et non communautariste) m’a justement permis d’être à l’aise avec mes différentes identités, et ainsi d’éviter de me replier de manière unilatérale sur l’une d’entre elles.
Après, l’enjeu c’est d’essayer de sortir de sa bulle d’entre-soi, de pouvoir trouver un équilibre entre ses différents cercles sociaux et/ou culturels. Pour se faire, je pense que le meilleur outil, ça reste l’empathie, cette double capacité d’aller au-delà de ses propres intérêts à court-termes et de rester humble face à la différence. Cela ne signifie pas renoncer à ses propres valeurs, bien au contraire, on solidifie celles qui nous sont les plus fondamentales, et on reste en phase avec la complexité de notre monde.

Des livres à conseiller ?
Give and Take” d’Adam Grant; “Peau Noire, Masques Blancs” de Frantz Fanon; “L’Arabe du Futur” de Riad Sattouf.

Des Talks ou interviews inspirantes à conseiller aux lecteurs ?

Pour faire le plein d’ondes positives, je leur recommanderais plutôt d’écouter le live d’India Arie chez Oprah Winfrey en 2001. Pour moi, ce live tutoie la perfection : de l’instru à la voix, en passant par le texte et l’interprétation. C’était en 2001, et cette performance vieillit superbement bien, à tel point qu’à chaque fois que je l’écoute, j’ai une montée d’endorphines. La vibe qu’Indie Arie met dans le passage “every freckle on my face is where it’s suppose to be / and I know my creator didn’t make no mistakes on me / My feet, my thighs, my Lips, my eyes, I’m loving what I see” me donne des frissons de joie.
 
https://youtu.be/7IhEHMHdBb8
Ah si j’ai un talk, le Tedx de Duc Ha Duong sur la nouvelle économie. Son concept des flux non-marchands comme grille d’analyse du monde, c’est la base !
https://youtu.be/FbaNjlQtNr8

Une citation ?
« On vit dans ce moment de l’histoire de ce pays, où tout le monde va devoir passer le périph pour se construire » Hamé, du groupe La Rumeur. Pour celles et ceux qui sont encore dubitatifs, je les invite à l’école Simplon.co le samedi 4 mars prochain.

A propos du Noise Festival
Comme lors des trois éditions précédentes, le “Noise Festival 2017 – Le Bruit de la Ville” se déroulera pendant trois jours (30, 31 mars et 1er avril) qui relie Paris, Montreuil et Saint-Denis, toujours avec cette envie d’aller de la réflexion (La Ville Raisonne) vers des festivités (La Ville Résonne).
Côté réflexion, on aura une masterclasse introductive de La Rumeur, qui reste le groupe iconique d’un rap français très engagé politiquement, à Sciences Po ; la projection du documentaire “Shake This Out” à l’université Paris-III ; le concours RaPoésie à l’université Paris-VII, ou encore un débat sur la place des femmes non-blanches dans le paysage culturel français à l’Université Paris-I.
Côté festivités, on aura dans un premier temps le Club 93, une soirée Hip-Hop-Electro (live & mix) dans la salle du Chinois à Montreuil le Vendredi 31 Mars (18H-5H). Puis on ponctuera en beauté notre festival avec la Block Party Midi-Minuit qui se déroulera le Samedi 1er Avril à la Maison de la Jeunesse de Saint-Denis. Ce “bouquet final” ouvert à toutes et tous concentre en douze heures tous les éléments qui constituent l’univers de Noise : concerts, dj-sets, expositions, ateliers, performances et jeux, sans oublier de la nourriture que le Noise Crew cuisine avec amour, et des boissons vendues à petit prix.
Les liens vers le Noise Festival
■ Site du Festival : www.noise-laville.fr/festival2017
■ Event Facebook : http://bit.ly/NoiseFestival2017FB
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flora clodicFlora Clodic-Tanguy, Slasheuse heureuse, j’ai fait le choix du journalisme positif. Mon bouillon de culture: des nouveaux médias optimistes et tournés vers l’avenir; des initiatives d’innovation démocratique, sociale ou écologique ; des entrepreneurs inspirants. Twitter @FloraClodic
 
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